L'UE s'inquiète pour la liberté d'expression en Turquie

Publié le par Famagouste

Le procès de l'écrivain Ohran Pamuk pour propos insultants envers la nation sera suivi avec attention par Bruxelles

Le dernier rapport sur les progrès réalisés par la Turquie en vue de son entrée dans l'Union européenne, dont Le Figaro a eu connaissance, est l'un des plus optimistes que la Commission n'ait jamais rédigé depuis 1998. Malgré une année peu glorieuse, marquée par des procès en sorcellerie contre des écrivains, des affaires de mauvais traitement dans des asiles et des orphelinats, la Commission dresse un bilan globalement positif des derniers mois. Saluant les réformes entreprises, Bruxelles propose même d'octroyer dès que possible le statut d'économie de marché à Ankara. Cette vision optimiste d'une réalité répond à une logique politique : après quarante ans d'attente, et des incertitudes de dernière minute, la Turquie a commencé ses négociations d'adhésion à l'Union, le 3 octobre dernier.

«Torture et mauvais traitement»

Dans ce contexte historique, la Commission ne pouvait pas se montrer trop sévère, au risque d'avoir l'air de se dédire. Longue de 150 pages, couvrant tous les chapitres économiques et politiques de l'acquis communautaire, sa cartographie de la Turquie en 2005 dénonce, sans trop s'y attarder, «les violences contre les femmes», les «cas de torture et de mauvais traitement», impunis ou instruits «avec trop de lenteur» par la justice turque, préférant mettre l'accent sur un problème plus emblématique, dénoncé à Londres et à Berlin : les menaces sur la liberté d'expression.

Le document de la Commission revient en détails sur l'affaire Ohran Pamuk, un écrivain turc à succès, traduit dans quarante pays, menacé de prison par un procureur d'Istanbul pour avoir tenu, dans la presse suisse, des propos jugés «insultants» pour la patrie. «On a tué chez nous 30 000 Kurdes et 1 million d'Arméniens, mais personne, sinon moi, n'ose en parler», a déclaré Orhan Pamuk en février 2005. En avril, le sous-préfet d'une province d'Anatolie a ordonné la destruction de ses livres. Poursuivi sur la base de l'article 301 du Code pénal turc révisé, l'écrivain est convoqué au tribunal le 16 décembre à Istanbul.

Critique du système judiciaire

Ce procès d'un autre âge sera suivi avec attention par les capitales européennes, Bruxelles en tête. Dans son rapport, la Commission rappelle, inquiète, que cinq autres intellectuels, journalistes ou éditeurs ont été condamnés en 2005 pour «insulte» à la nation. «L'article 301 du Code pénal turc est mal interprété par certains juges et procureurs», estime l'exécutif européen. «Cette interprétation n'est pas en accord avec l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme», ajoute le document. «Si cet article du Code pénal continue à être interprété de manière restrictive, il faudra demander un amendement pour pouvoir préserver la liberté d'expression en Turquie.» Jamais la Commission n'était allée aussi loin dans sa critique du système judiciaire en Turquie, indépendant du pouvoir politique, et toujours aux mains des nationalistes. Comme l'armée et la haute administration, la vieille garde de la magistrature en Turquie est hostile à l'alignement des lois du pays sur des normes européennes, considérées trop laxistes.

 

A. B.
[07 novembre 2005] - Le Figaro


Publié dans Dans la presse

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