Grand projet 2006, symposium arméno-turque, conférence kurde, La Turquie en médiateur

Publié le par Famagouste

Le “ Grand Projet 2006 ” contre les « allégations arméniennes ».
Peu d’informations circulent, dans la presse turque, sur le mouvement Talaat, destiné à honorer la mémoire du principal ordonnateur du génocide arménien. On sait, néanmoins, que ce mouvement s’inscrit dans le “ Grand Projet 2006 ”, une opération de grande envergure visant à contrer, un peu partout dans le monde, ce qu’Ankara appelle « les allégations arméniennes » sur le génocide.
Publication de documents, organisation de symposiums, travail de propagande en direction des institutions internationales : la Turquie va passer la vitesse supérieure sur la question du négationnisme.
The New Anatolian se fait l’écho des « efforts de la Diaspora turque », et en particulier des associations turques de France, qui se sont regroupées « au sein d’un Comité unitaire pour faire annuler la loi de 2001 sur la reconnaissance du génocide arménien ». Le journal précise que la décision de faire front commun contre cette loi a été prise dimanche 12 mars, lors d’une réunion des représentants de dix associations, regroupées autour du Centre culturel anatolien et de l’Association pour la Pensée kémaliste.
Le Comité unitaire a décidé de lancer une initiative visant à fournir « des réponses concrètes basées sur des réalités historiques aux revendications venant de l’étranger qui portent atteinte à l’indépendance de la Turquie ». Ces associations vont développer des programmes en vue d’informer la société turque sur les allégations arméniennes et la société française sur la réalité de cette question. Elles ont annoncé que leur objectif prioritaire était de publier un ouvrage en français, et ont indiqué qu’elles se réuniraient à nouveau le mois prochain, pour ajuster leur stratégie et organiser les actions à mettre en œuvre durant cette campagne.
Cette offensive contre la loi de 2001 votée en France s’inscrit donc dans cette action à l’échelle planétaire que le “ Mouvement Talaat ” incarne ces jours-ci en Allemagne. Ses organisateurs se sont réunis le week-end dernier à Istanbul, pour finaliser les préparatifs du mouvement lancé cette semaine en Allemagne. L’objectif avoué de cette action menée Outre-Rhin est de faire reculer le Parlement allemand, qui avait voté en juin dernier une résolution condamnant les massacres perpétrés contre les Arméniens en 1915.
Dogu Perinçek, le chef du Parti des Travailleurs turcs, qui a des démêlés avec la justice suisse pour avoir dit que le génocide arménien était « un mensonge international », et Rauf Denktash, l’ancien président de Chypre-Nord, seront à la tête des manifestations prévues en Allemagne, qui rassembleront des représentants de partis politiques turcs et d’organisations non-gouvernementales. Les organisateurs espèrent que ce mouvement attirera quelque 5 millions de supporters.
Dans Anatolian Times, on apprend dans un article intitulé “ Berlin, Mouvement Talat Pasha ” que 500 Turcs partiront pour Berlin, samedi 18 mars au matin, pour participer à la manifestation organisée à la mémoire de Talaat. Parmi eux, le journal cite Dogu Perinçek, mais aussi Vural Savas, le Procureur honoraire de la Cour Suprême de Révision, ou l’ancien Recteur de l’Université d’Istanbul Kemal Alemdaroglu. Les manifestants se rassembleront « autour de la mémoire de Talat Pasha » et pour protester « contre les mensonges arméniens sur le génocide ».

Symposium sur les relations arméno-turques à l’Université d’Istanbul.
« La Turquie est en paix avec son passé. Il n’y a rien dans notre histoire dont nous devrions avoir honte » : tel est le message délivré par le ministre turc des Affaires étrangères, Abdullah Gül, aux participants du symposium sur les relations turco-arméniennes organisé du 15 au 17 mars à l’Université d’Istanbul.
Soulignant que de nombreux symposiums et conférences se sont déroulés récemment en Turquie autour de la question arménienne, Abdullah Gül a noté selon l’agence Anatolie « une augmentation du nombre des recherches scientifiques, des articles et des ouvrages publiés sur les dernières années de l’Empire ottoman et la question arménienne ». « Grâce à ces études, poursuit M. Gül, nous avons l’opportunité de voir les faits et de faire résonner la voix de la vérité contre les publications partiales des Arméniens de la Diaspora. » Le chef de la diplomatie turque a ajouté que « le nombre de publications impartiales aux Etats-Unis et en Europe, sur cette question », était en augmentation.
Abdullah Gül a déploré enfin que l’an dernier, la Turquie s’est vu opposer une fin de non-recevoir à la proposition faite au gouvernement arménien de créer une commission mixte pour « examiner les épisodes controversés des relations arméno-turques ».
De son côté, le Recteur de l’Université d’Istanbul qui accueille la conférence, Mesut Parlak, a balayé cette « grave accusation de génocide », en faisant valoir qu’elle doit reposer sur une base juridique. « Or, précise-t-il, la législation internationale définissant le génocide, qui a été adoptée en 1948, ne couvre pas les événements antérieurs à cette date. »
Un Mesut Parlak qui affirmait, selon le journal Anatolian Times, que le symposium de cette semaine, intitulé “ Nouvelles approches des relations turco-arméniennes ”, ouvrirait « une nouvelle page » dans l’histoire des relations entre les deux peuples.

Une conférence kurde à l’Université de Bilgi.
Six mois après avoir accueilli la conférence arménienne des 24 et 25 septembre derniers, l’Université Bilgi d’Istanbul a organisé les 11 et 12 mars une conférence sur le problème kurde. Intitulée “ La question kurde en Turquie : quelles voies pour une solution démocratique ”, cette conférence a rassemblé plus de 45 intellectuels, responsables politiques et journalistes turcs et kurdes de différentes tendances.
Parmi les participants, Osman Baydemir, le maire de Diyarbekir, a estimé que le problème kurde renfermait des aspects économiques, sociaux, politiques et culturels. Pour le régler, il a appelé de ses vœux, selon l’agence Anatolie, l’établissement d’une feuille de route intégrant toutes ces dimensions, soulignant que l’ouverture d’un débat sur cette question constituait un pas en avant. « Si nous parvenons à débattre de ce problème de façon pacifique, nous aurons une chance d’ouvrir la voie à la démocratisation », a déclaré le maire de Diyarbekir.
Durant cette conférence sur le problème kurde, une session entière a été consacrée au “ concept de minorité ”. Selon le Turkish Daily News, le Pr Baskin Oran a déclaré que les Kurdes de Turquie réclament des droits octroyés aux minorités, bien qu’ils rejettent le concept. Il a ajouté que les Kurdes, plutôt qu’une minorité, étaient un élément constitutif du pays.
Parmi les autres participants à la conférence, notons l’ancien ambassadeur Ilter Türkmen, qui a rejeté tout recours à la violence si l’on veut faire progresser ce problème kurde, mais aussi un professeur de l’Université d’Ankara, Mithat Sancar, qui a demandé aux Kurdes de dire clairement s’ils souhaitaient oui ou non une solution à leur problème dans le cadre de leur intégration à la société turque. « Il suffit de dire “ Nous sommes pour l’unité ” », a-t-il ajouté.
Dans le quotidien Radikal, on insiste sur la diversité des points de vue exprimés durant cette conférence. « Tandis que l’ancien ministre d’Etat Serafettin Elçi a critiqué le gouvernement et Atatürk, le maire de Diyarbekir Osman Baydemir a appelé à explorer les possibilités de solutions non-violentes aux problèmes du Sud-Est, écrit le quotidien. Le Pr Baskin Oran, pour sa part, a déclaré que les Kurdes n’étaient pas une minorité mais un élément constitutif de la Turquie. Quant au journaliste Hassan Cemal, il a fait observer que si l’on critiquait facilement les erreurs du gouvernement, il n’en allait pas de même du PKK. »
Radikal, enfin, a souligné qu’au premier jour de la conférence, Baskin Oran a demandé à l’assistance et aux participants d’« applaudir l’organisateur Ismaïl Besikçi pour son courage, grâce auquel il a été possible de débattre de la situation des Kurdes dans les milieux universitaires ». Selon le journal, tous les présents se sont levés pour applaudir Ismaïl Besikçi et Baskin Oran.
Pour Ergun Babahan, du quotidien Sabah, « cette discussion ouverte permet à différentes voix de s’exprimer dans le mouvement kurde ». Car pour le journaliste, le PKK « réduit au silence toute forme d’opposition dans la région, et rend plus difficile la recherche d’une solution ainsi que le développement de la démocratie chez les Kurdes ». Ergun Babahan a cité Serhat Bucak, le fondateur du Centre international kurde pour les Droits de l’Homme, qui a souligné « la nécessité pour le PKK de rendre les armes et de renoncer à la violence, pour ne pas bloquer le processus démocratique et la recherche d’une solution dans la région ».
C’est dans la foulée de cette conférence que Mehmet Ali Birand, dans la rubrique “ Opinions ” du Turkish Daily News, revient sur l’interview accordée à Murat Yetkin, du quotidien Radikal, par le chef d’état-major adjoint des forces armées turques, le général Kosaner. Dans cet entretien, le responsable militaire a souligné que le terrorisme du PKK « n’était plus une priorité », ajoutant que le problème kurde était « de plus en plus politisé, avec la montée du nationalisme et des mouvements séparatistes kurdes ».
Le mouvement kurde, souligne le journaliste, « écoute les recommandations faites par l’Europe et les Etats-Unis, qui lui demandent de renoncer au terrorisme pour déplacer leurs revendications sur le terrain politique ». Birand assimile l’évolution du mouvement kurde à celle de l’Armée Républicaine Irlandaise (l’IRA). « Ils se sont divisés en deux mouvements, écrit-il : l’un armé et l’autre politique. Tous nos regards étaient rivés vers le seul PKK dans le passé. Les choses ont changé. Le Parti pour une Société Démocratique (DTP) représente maintenant l’aile politique du mouvement kurde, tandis que le PKK en est le bras armé. »
« Le PKK est toujours présent, mais pas comme par le passé, écrit Birand. Il n’est pas aussi fort qu’il l’était. Les actes de violence qu’il commet ont pour seul but de montrer qu’il existe. (…) Le problème devient politique. Les Kurdes, en exprimant leur opposition sur la place publique et en élisant des maires, sont plus efficaces et gagnent le soutien croissant de l’étranger. Et nous, que faisons-nous ? Nous nous focalisons toujours sur les affrontements avec le PKK. Nous tentons d’ignorer la dimension politique du problème, car il est plus facile de lutter contre des terroristes. Cependant, ce que l’Etat craint le plus est en train de se produire : ce mouvement kurde politisé pousse les autorités d’Ankara et la société au changement. »
Birand appelle à « mettre fin à la politique classique », et à « développer une nouvelle vision, en faisant des sacrifices et en adoptant un ton plus conciliant ». Il déplore que la Turquie d’aujourd’hui soit « incapable d’opérer cette transformation », une incapacité soulignée par le chef d’état-major adjoint des forces armées turques.
Alors que les 56 maires kurdes du DTP se font « davantage entendre que par le passé, ignorant les pressions des médias et des appareils politiques », qu’ils « drainent des millions de partisans dans les rues », que le mouvement kurde « réalise que l’abandon du terrorisme lui assurera le soutien des Occidentaux », et qu’un Irak du Nord « de plus en plus proche de l’indépendance » entraîne une montée du nationalisme kurde, « que faisons-nous pendant ce temps-là ? », s’interroge Birand. « Nos procureurs accumulent les instructions judiciaires les unes après les autres », écrit le journaliste, dans une allusion aux nombreux procès intentés notamment sur la base de l’article 301, pour entraver la liberté d’expression. « Nous réalisons qu’intenter des procès ne résoudra pas le problème, et que de tels développements nécessitent des mesures alternatives, mais nous n’arrivons pas à faire les gestes qu’il faut », conclut Mehmet Ali Birand.

La Turquie en position de médiateur sur la crise du nucléaire iranien.
Mohamed El Baradeï, le président de l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA), a proposé à la Turquie un rôle de médiateur dans la crise qui oppose la communauté internationale à Téhéran sur le dossier du programme nucléaire iranien. Selon le Turkish Daily News, qui tient ses informations de source diplomatique, la proposition aurait été faite jeudi 9 mars à Vienne, durant une rencontre avec Abdullah Gül, le ministre turc des Affaires étrangères. Selon le quotidien turc, le président de l’AIEA a déclaré à M. Gül que la Turquie était le seul pays de la région en qui la communauté internationale et l’Iran avaient confiance sur ce dossier du nucléaire. M. El-Baradeï a également déclaré, toujours selon ces mêmes sources diplomatiques, que son opinion sur le dossier nucléaire iranien était « à 100% en phase avec celle de la Turquie ».
Un Mohamed El-Baradeï qui a accepté une invitation d’Abdullah Gül à se rendre en Turquie, pour une visite prévue en juin prochain, date à laquelle la Turquie devrait annoncer officiellement le lancement de son propre programme nucléaire.
Trois jours plus tard, dimanche 12 mars, Abdullah Gül faisait le point sur la position d’Ankara au sujet du dossier nucléaire iranien devant les députés du groupe parlementaire de l’AKP. « Toute intervention de la communauté internationale au sujet du programme nucléaire de notre voisin iranien aura des conséquences primordiales pour la Turquie », a déclaré Abdullah Gül. Selon l’agence Cihan, le chef de la diplomatie turque a indiqué que 70 000 convois de marchandises de Turquie transitaient chaque année par l’Iran vers les pays d’Asie centrale, ce qui a fait dire à Abdullah Gül que son pays « serait durement pénalisé si des sanctions étaient appliquées contre l’Iran ». Il a ajouté que le président de l’Agence internationale pour l’énergie atomique, Mohamed El-Baradeï, lui a fait observer que seules la Turquie et la Russie étaient en mesure de convaincre l’Iran de stopper son programme nucléaire.
Un Abdullah Gül visiblement soucieux de maintenir un équilibre dans ses relations entre le voisin iranien et le partenaire stratégique israélien. « Si le programme nucléaire iranien est dangereux, celui d’Israël l’est tout autant. Tous les pays doivent être ouverts aux missions d’inspection de l’ONU », a-t-il déclaré selon Milliyet devant les mêmes parlementaires de l’AKP. Commentant les déclarations des dirigeants israéliens, qui maintiennent que leur pays n’a pas de programme nucléaire, le chef de la diplomatie turque a souligné qu’« il y a 25-30 ans, pourtant, on affirmait qu’Israël avait la maîtrise de ces programmes ».
Le journaliste Mehmet Ali Birand revient sur l’attitude d’Ankara vis-à-vis de Téhéran sur ce dossier du nucléaire iranien. Ayant eu l’occasion de discuter avec Abdullah Gül à Vienne, le célèbre chroniqueur estime dans la rubrique “ Opinions ” du Turkish Daily News que la partie « la plus intéressante » de sa conversation concernait l’Iran.
Voici ce que lui a dit, en substance, le chef de la diplomatie turque : « Nous ne voulons pas voir un Iran en possession d’armes nucléaires. (…) Si le Conseil de sécurité de l’ONU vote certaines sanctions contre l’Iran, nous serons obligés d’y adhérer. (…) Ce sujet est très important pour nous, surtout parce que l’Iran est un voisin direct de la Turquie. Près de 70 000 camions turcs doivent emprunter chaque année le territoire iranien pour rejoindre les Républiques d’Asie centrale, environ un million de touristes iraniens visitent chaque année la Turquie, l’Iran satisfait une partie de nos besoins énergétiques et notre objectif avec l’Iran en matière d’échanges commerciaux est d’atteindre environ 3 milliards d’euros par an. »

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