Polémique autour du "péril de l'islam", France et Turquie,

Publié le par Famagouste

La polémique en Turquie autour du « péril de l’islam réactionnaire », sur fond d’élection présidentielle.
La menace fondamentaliste’ fait toujours débat en Turquie. On s’en souvient, le président et les principaux chefs de l’armée ont tiré la sonnette d’alarme. Ils reprochent à l’AKP au pouvoir de ne pas mettre tout en œuvre pour endiguer « la menace de l’islam réactionnaire ».
A son retour de Londres, Recep Tayyip Erdogan a tenté de dédramatiser. Le Premier ministre s’est dit prêt à discuter avec les militaires de leurs inquiétudes concernant la montée de cette menace fondamentaliste. Néanmoins, il a déclaré à Hürriyet qu’il valait mieux « éviter toute attitude susceptible de créer des tensions dans le pays ». En clair, M. Erdogan opte pour la recherche d’une solution « par le dialogue interne plutôt que sur la place publique ».
D’autant que selon lui, il n’existe pas de définition juridique pour cerner la signification du mot “fondamentalisme“ qu’emploient les militaires et le président de la République. « Au lieu de parler de “fondamentalisme”, il serait préférable d’utiliser le mot “extrémisme”, a souligné M. Erdogan.
Le quotidien Zaman relève que M. Erdogan a fait cinq propositions concernant le traitement de cette question : 1) éviter toute tension inutile à partir de menaces fabriquées de toutes pièces ; 2) définir ce qu’est l’islam réactionnaire ; 3) étayer toutes les allégations sur des faits solides et prouvés ; 4) garder la discussion en dehors de la sphère publique ; 5) éveiller les sentiments de respect plutôt que ceux de tolérance.
Pour Milliyet, le Premier ministre, par son attitude, a « tendu un rameau d’olivier aux militaires ». Le journal cite M. Erdogan, qui a invité la société turque’ à « pousser ces extrémistes vers le centre, au lieu de les exclure ».
Erdal Saglam, dans Hürriyet, est du même avis. Ou à peu près. Car selon lui, si MM. Erdogan et Büyükanit en venaient effectivement à discuter du péril réactionnaire, l’entrevue « ne se terminerait pas à l’avantage du Premier ministre ». Raison invoquée par le journaliste : le fait que « selon certaines rumeurs récentes, le conflit politique actuel à Ankara ne se limite pas à la seule menace posée par l’islam réactionnaire ».
Lorsqu’on lit une telle phrase, dans le contexte actuel, on ne peut s’empêcher, bien entendu, de penser au spectre d’un coup d’Etat militaire en Turquie. Mais Ergun Babahan, du quotidien Sabah, n’y croit pas du tout. Selon lui, la réaction des militaires a apporté de l’eau au moulin du gouvernement, au moment où le Premier ministre se rendait en visite à Washington. En effet, en qualifiant M. Erdogan d’« ami proche » et d’« homme de paix », le président Bush a fait savoir son opposition formelle à toute intervention militaire semblable à celle du 28 février 1997, lorsque l’armée avait contraint le gouvernement islamiste de Necmettin Erbakan à jeter l’éponge sans qu’une goutte de sang ne soit versée.
Pourquoi Ergun Babahan est-il si convaincu que ce scénario ne se reproduira pas cette fois-ci ? « Parce qu’en Turquie, souligne le journaliste de Sabah, toutes les interventions des forces armées – y compris celle du 28 février 1997 – ont eu le feu vert et le soutien préalable du gouvernement américain. » Or, conclut Ergun Babahan, « George Bush a exprimé clairement, durant son entrevue avec M. Erdogan, son opposition à toute intervention en cette phase de démocratisation, rendant donc nulle toute perspective d’intervention militaire ».
Des Etats-Unis qui ne semblent pas particulièrement préoccupés, d’ailleurs, par ce débat sur la menace fondamentaliste ; témoin les propos tenus par l’ambassadeur américain à Ankara, Ross Wilson, pour qui ne s’en dégage qu’une « cacophonie ». Ross Wilson, dont le jugement provoquera un véritable déchaînement de l’opposition turque contre sa personne, ajoutera qu’« il n’y a rien à l’horizon proche pour [le] rendre particulièrement inquiet » sur la situation en Turquie.
La question du coup d’Etat militaire revient également sous la plume de Hassan Cemal, dans Milliyet. Le journaliste estime que par leurs déclarations, le président Sezer et le général Büyükanit ont « pour objectif premier d’empêcher le Premier ministre de devenir président » ; car l’accession de l’AKP à la présidence équivaudrait, à leurs yeux, à « la chute du dernier bastion de la laïcité » en Turquie. Pour Hassan Cemal, il existe deux moyens d’arrêter M. Erdogan dans sa course à la présidence : le premier est une forme d’intervention militaire ressemblant au processus initié par l’armée le 28 février 1997 ; quant à la seconde méthode, c’est celle du coup d’Etat direct. « Si le Premier ministre persiste à briguer la présidence, l’armée choisira l’une de ces deux options », affirme Hassan Cemal. Mais pour le journaliste de Milliyet, la répétition du scénario de février 1997 paraît impossible.
Mehmet Barlas, dans Sabah, se rappelle pour sa part que l’un des principaux généraux auteurs du putsch du 12 septembre 1980 lui avait fait confié un jour que l’armée décide de faire un coup d’Etat lorsque le pays n’est plus sous contrôle. Mais le journaliste estime qu’il est impossible de déterminer, à l’heure actuelle, si le pays souffre d’un manque d’autorité. « Des mesures décisives ont été prises en matière d’économie, de politique étrangère et de sécurité, dit-il. L’inflation ne constitue plus une menace, la Turquie attire les investissements et le processus d’adhésion à l’Union européenne se poursuit, à travers l’adoption une à une des lois d’harmonisation. »
Et si l’on parle de coup d’Etat militaire en Turquie, c’est surtout en raison « des spécificités uniques de la réalité turque », écrit Mehmet Barlas. Car en Europe, poursuit-il, « l’une des réalités fondamentales » à prendre en considération est que les forces armées « n’auront jamais de rôle déterminant dans l’élaboration et la mise en œuvre de la politique ». « Les traditions turques, conclut le journaliste de Sabah, sont très différentes de celles de l’Europe, que nous aimions l’Europe ou pas. »
Pendant ce temps-là, la polémique autour des activités de l’armée, qui avait électrisé l’atmosphère la semaine dernière en Turquie, a connu de nouveaux développements. Le 2 octobre, rappelons-le, le général Yashar Büyükanit, chef d’état-major des forces armées, avait stigmatisé un rapport du TESEV (la Fondation turque pour les Etudes en Sciences économiques et sociales), qui relevait les manquements démocratiques de l’armée dans la politique de sécurité. Parmi les griefs formulés par le numéro un de l’armée, ce dernier accusait l’Académie de Police d’avoir préparé 9 des 22 chapitres du rapport publié par le TESEV. Celui-ci reprochait notamment aux militaires une certaine opacité dans la gestion de leurs finances.
La police turque a répondu aux accusations du chef d’état-major des forces armées turques. Son porte-parole, Ismaïl Çaliskan, a déclaré le 6 octobre, selon le Turkish Daily News, qu’il était impossible pour la police d’être impliquée dans des opérations visant une autre institution étatique (comprenez l’armée). Niant tout lien à caractère institutionnel avec le rapport du TESEV, la Police a néanmoins reconnu que certains de ses membres avaient pu contribuer à l’élaboration de ce rapport, mais à l’insu de leur direction. Selon la Police, les membres de l’Académie de Police impliqués dans cette affaire seraient des universitaires qui se seraient exprimé « en leur nom propre », et non des membres du personnel affecté aux tâches de sécurité.
La Police se défend donc de toute manœuvre’ destinée à porter atteinte au crédit de l’armée. Selon le Turkish Daily News, Volkan Aytar, le rédacteur du rapport du TESEV, a indiqué que sa Fondation n’avait pas sollicité le concours de membres de l’Académie de Police pour la préparation de certains articles de ce rapport, mais que ce sont des éléments de la Police eux-mêmes qui ont demandé à leur hiérarchie l’autorisation d’y contribuer. Une enquête a été ouverte, au sein de la Police, pour tirer cette affaire au clair.
Laquelle fait réagir le quotidien Cumhuriyet, fervent défenseur de la laïcité alla turca, qui affirme que le TESEV a reçu le soutien du mouvement d’inspiration religieuse Fethullah, du prénom de son leader Fethullah Gülen. Le quotidien turc rappelle que le général Büyükanit s’est plaint de l’infiltration massive de ce mouvement au sein des forces de police en Turquie.
Pour le journaliste Mehmet Ali Birand, qui s’exprimait dans les colonnes du Turkish Daily News, cette campagne contre le péril fondamentaliste « a atteint un tel point que l’impression générale est que le régime tout entier est menacé d’effondrement ». Pour résumer, le président, le chef des armées et d’autres militaires de haut rang, le CHP et d’autres partis d’opposition, mais aussi des universitaires et le Conseil de l’Enseignement Supérieur, envoient tous le même message : « l’AKP n’est pas bon pour l’avenir du pays ».
« On le dit ouvertement, souligne Birand : l’objectif à court terme de ce débat sur la laïcité et le fondamentalisme est d’empêcher Recep Tayyip Erdogan de se présenter à l’élection présidentielle. » Cette tentative de pression est pourtant vouée à l’échec, selon le journaliste, qui prédit que le résultat pourrait même être l’inverse de celui recherché au départ. « Chacun sait, écrit-il, que M. Erdogan avait ses propres réticences, au début, à l’idée de briguer la fonction suprême ; cependant, aujourd’hui, il pourrait bien se présenter simplement pour contrarier cette opposition. »
Car, de l’avis même de ceux qui connaissent très peu M. Erdogan, « si le Premier ministre renonce à sa candidature, l’impression générale sera qu’il aura cédé sous la pression de l’opposition et des militaires. Et cela, Erdogan ne peut l’accepter ». « Cette pression, conclut Birand, va forcer Erdogan à se présenter à l’élection présidentielle. »

La France « va perdre la Turquie ».
C’est l’union sacrée ! L’union sacrée contre la proposition de loi française’ pénalisant la négation du génocide arménien. Avant de revenir dans le détail, la semaine prochaine, sur les réactions de la presse turque au déroulement de la journée du 12 octobre à l’Assemblée nationale, jetons un coup d’œil sur les pressions exercées par Ankara sur Paris et le climat général observé durant les derniers jours à travers la presse turque.
Après le ministre d’Etat Kürsad Tüzmen, qui se demandait lors d’une conférence organisée à Paris par le TÜSIAD (l’équivalent turc du MEDEF) si après le 12 octobre, en cas d’adoption de la loi, il serait mis en prison à Paris pour négation du génocide arménien, c’est le Premier ministre en personne qui est entré dans l’arène. Rencontrant des hommes d’affaires français samedi dernier en Turquie, Recep Tayyip Erdogan s’est demandé si la France jettera en prison un Premier ministre turc qui dirait sur son sol qu’il n’y a pas eu de génocide arménien. M. Erdogan a ajouté, selon le Journal of Turkish Weekly, qu’un pays tiers comme la France n’avait pas le droit de prendre des décisions sur un conflit du passé entre deux nations.
Abdullah Gül, lui aussi, y est allé de sa menace. Interrogé par Hürriyet, il a averti qu’en cas d’adoption de la proposition de loi, la participation de la France aux grands projets économiques de la Turquie, et notamment la construction d’une centrale nucléaire, sera compromise. Au quotidien Yeni Safak, le chef de la diplomatie turque est allé plus loin, en déclarant que « la réaction du gouvernement et celle du public en général seraient inévitables si les choses continuaient en l’état ». « La France va perdre la Turquie », a-t-il clamé.
Même ton menaçant chez le général Yashar Büyükanit, chef d’état-major des forces armées. Au quotidien Hürriyet, il a indiqué qu’en cas d’adoption de la proposition de loi, la Turquie suspendrait ses relations militaires avec la France. Plus de visites mutuelles, plus d’exercices militaires communs, interdiction aux sociétés françaises de participer aux appels d’offres dans le secteur de la Défense : l’armée, sur cette question, est sur la même longueur d’onde que les politiques.
Du côté des milieux économiques, on notera tout d’abord la réaction de Rifat Hisarciklioglu, le président de l’Union des Chambres turques d’Import-Export, qui a déclaré que « la pénalisation de la négation du soi-disant génocide arménien en France fait revenir ce pays au Moyen-Âge ». Quant à Bülent Deniz, le président du Syndicat des Consommateurs turcs, il a annoncé qu’en cas d’adoption de la proposition de loi, la Turquie boycotterait un produit français par semaine. « Notre boycott continuera, a-t-il affirmé, jusqu’au retrait de la loi sur ce prétendu génocide arménien. »
Enfin, selon Bugün, Zafer Çaglayan, le président de la Chambre de Commerce et d’Industrie d’Ankara, devait s’envoler pour Paris jeudi 12 octobre, soit le jour même de la discussion de la proposition de loi à l’Assemblée nationale. « Je vais là-bas pour y être le “premier criminel”, a-t-il déclaré selon le quotidien turc. J’irai là-bas et crierai haut et fort que je nie toutes les allégations arméniennes de génocide. »
Un Zafer Çaglayan qui, selon Zaman, est même allé jusqu’à dire que l’adoption de cette proposition de loi sonnerait le glas de la cinquième République, et lancerait une sixième République fondée sur l’intolérance à l’égard de la liberté de pensée et la négation des droits fondamentaux de la personne humaine.
Mais les pressions exercées sur la France dépassent le simple cadre franco-turc. Olli Rehn, le Commissaire européen à l’Elargissement, a appelé les parlementaires français, selon l’agence Anatolie, à « assumer leurs responsabilités » et à « prendre en considération les conséquences possibles de la loi ».
Dans ce contexte politique très tendu, la presse turque redouble de véhémence. Dans Hürriyet, la journaliste Kenize Mourad a très sévèrement critiqué la loi sur la pénalisation du négationnisme. Elle estime que l’initiative du Parlement français relève du « terrorisme intellectuel », soulignant que « Staline et Hitler ont eu recours à la réécriture de l’Histoire à des fins politiques, avec dans les deux cas, rien d’autre pour résultat qu’une catastrophe ». Pour la journaliste de Hürriyet, pénaliser à l’aide d’une loi la négation des revendications arméniennes de génocide « ne diffère en rien » de l’attitude de la Turquie, « souvent durement critiquée par l’Europe », parce qu’elle poursuit en justice les individus qui soutiennent ces revendications.
Kenize Mourad rappelle l’exemple de Gilles Veinstein, l’historien très controversé pour ses positions négationnistes’ sur le génocide arménien, qui avait été élu au Collège de France fin 1998 dans une ambiance délétère. La journaliste souligne que Gilles Veinstein avait vu sa carrière « mise en danger », pour avoir soutenu que les Arméniens n’avaient « pas été victimes d’un génocide ». « La famille Veinstein avait reçu des menaces de mort, a-t-elle affirmé, obligeant le chercheur à garder le silence sur son point de vue. »
Enfin, dans son papier, la journaliste de Hürriyet applaudit les parlementaires turcs des Pays-Bas qui ont refusé d’accepter les revendications arméniennes, malgré les exigences posées en ce sens par les partis politiques néerlandais. Kenize Mourad pense qu’en abandonnant leur carrière politique, ils ont accompli un acte « très courageux ».
Yusuf Kanli, l’éditorialiste du Turkish Daily News, estime que la France « sacrifie la liberté d’expression pour les voix de l’électorat arménien ». Lui aussi se réfère à Hitler et Staline, en soulignant qu’à l’image de leurs tentatives de réécrire l’Histoire, la France, à l’aide de lois qualifiant les événements de 1915 de “génocide”, « ne fait rien d’autre que de réécrire l’Histoire à des fins politiques ». Mais ce qui est plus grave, à ses yeux, c’est la loi sur la pénalisation de la « négation du génocide ». Car, « sous le prétexte d’agir par solidarité avec les Arméniens », Paris « impose des restrictions à la liberté d’expression », juste pour « apaiser une petite minorité arménienne et obtenir ses voix aux prochaines élections présidentielles ».
Dans l’ensemble, la presse turque était plutôt pessimiste sur l’issue de la journée du 12 octobre. Toujours dans le Turkish Daily News, mais le lendemain, Mehmet Ali Birand a prédit « un accident de train franco-turc le jeudi 12 octobre, à 11 h ». « Ce sera un énorme accident, écrit-il, et il y aura du sang partout. Il faudra des années pour cicatriser les blessures. »
Se référant aux conversations qu’il a eues avec ses interlocuteurs parisiens, Birand a pronostiqué qu’un blocage à l’Assemblée était cette fois-ci « assez improbable ». Il a souligné que « les Français et leurs parlementaires agissent de cette façon non pas parce qu’ils haïssent [les Turcs], mais pour d’autres raisons, en particulier des questions de politique intérieure et des considérations électorales ».
Mais Birand prévoit un pourrissement de la situation autour de cette proposition de loi. « Après ce vote (à l’Assemblée nationale), le Sénat, aussi, devra approuver la proposition de loi. Il n’y a pas d’échéance fixée pour le vote. Cela peut prendre des semaines ou des années, s’il le souhaite. Et ce n’est pas tout, ajoute-t-il. Une proposition de loi approuvée par l’Assemblée et le Sénat ne peut prendre effet qu’après sa promulgation par le président de la République. Le président peut ne pas apposer sa signature au bas du document. Il peut aussi attendre un moment avant de prendre sa décision. » Et Birand de conclure : « On peut dire aisément que cette proposition de loi va empoisonner les relations franco-turques pour un certain temps. »
Au chapitre des menaces et pressions en tous genres, l’ancien ministre turc des Affaires étrangères, Yashar Yakis, aujourd’hui président de la Commission parlementaire chargée des questions d’harmonisation avec l’Union européenne, a suggéré qu’en représailles, Ankara « expulse les 70 000 travailleurs arméniens clandestins de Turquie ». « Vous pouvez dire que la faute a été commise par la France, mais que ce sont les Arméniens qu’on punit. Néanmoins, a-t-il déclaré selon l’agence Doghan, l’Arménie devrait être pleinement consciente de ses responsabilités. »
Et puis c’est le retour du “génocide algérien” qu’aurait perpétré la France. Sans attendre le résultat du vote de jeudi, le Parlement d’Ankara, par l’entremise de sa Commission chargée des questions de Justice, devait débattre d’une contre-proposition de loi sur la pénalisation en Turquie de la négation du “génocide algérien”. Cette proposition de loi, comme le rapporte le Turkish Daily News, a été déposée par un député indépendant et deux députés de l’opposition. Quant au président de la Commission chargée des questions de Justice au Parlement, Köksal Toptan, il a estimé qu’il fallait répondre à la France « au nom de notre fierté ».
De leur côté, les membres du Conseil municipal d’Ankara ont soumis au Parlement turc une résolution concernant la construction d’un mémorial du “génocide algérien”, qui serait érigé, si le projet était retenu, dans la rue de Paris, à Ankara.
Fatih Altayli, dans Sabah, estime que le moment est venu de répondre à la France à l’aide d’un langage qu’elle comprend. Pour le journaliste turc, la France utilise cette question pour en tirer les dividendes sur la scène politique intérieure. « Pour la première fois, la Turquie a réagi durement sur cette question », note Fatih Altayli, qui rappelle que le Parlement d’Ankara est sur le point de discuter d’une loi sur le « génocide algérien » commis par la France. « Voilà le langage qu’ils comprennent !, écrit le journaliste de Sabah. En politique internationale, être le bon petit garçon n’est d’aucune utilité pour personne. Plus vous appliquez le “œil pour œil, dent pour dent”, plus vous êtes appréciés. La France, en particulier, comprend parfaitement ce langage. »
Oktay Eksi, dans Hürriyet, ne dit pas autre chose lorsqu’il souligne que le principe de « réciprocité » est « l’arme la plus efficace dans les relations internationales ». Selon la Commission parlementaire turque sur les questions de Justice, la proposition de loi sur la pénalisation de la négation du « génocide algérien » perpétré par la France a déjà reçu l’approbation du gouvernement.
Oktay Eksi n’a l’intention de féliciter ni la Commission de la Justice ni le gouvernement. Estimant que le geste de la France constitue une violation de la liberté de pensée et des principes démocratiques, le journaliste de Hürriyet note que la critique d’Ankara à l’égard de Paris sur cette question « repose sur l’illégalité de la proposition de loi ». « Et maintenant, notre Parlement va faire de même », pointe le journaliste. Avec une nuance, tout de même : « Bien que le principe de réciprocité soit important, celui de la légalité de la loi doit demeurer prééminent », écrit Oktay Eksi. La Turquie, à ses yeux, devrait plutôt se concentrer sur la défense de ses thèses et aligner son budget de campagne en fonction de cet impératif, tout en appliquant des embargos contre la France.
Pour le quotidien Bugün, la France pratique le double standard en reconnaissant d’un côté un génocide arménien, et en « laissant de l’autre les revendications des Algériens aux historiens ». Le quotidien turc souligne que les journaux algériens francophones ont publié des articles réclamant de la France la reconnaissance de ses crimes commis contre les Algériens pendant ses 132 années d’occupation.
Ouvrons une parenthèse, ici, pour dire que la presse algérienne se montre plutôt réservée dans son ensemble sur la contre-proposition de loi d’Ankara. « Il y aurait matière à reconnaissance au gouvernement turc si cette compassion post-coloniale procédait du simple bon sentiment, écrit le quotidien Liberté. Mais l’épreuve du peuple algérien est convoquée comme instrument de pression diplomatique. Tout se passe comme si la souffrance des Algériens, au lieu de mériter une considération de principe, se voit engagée dans un affrontement par ricochet. C’est pour le moins déplacé, ajoute Liberté, que la Turquie interpelle la France sur son passé algérien (traitant ainsi) en mineur un peuple qu’elle a déjà soumis par la force. » Décidément pas dupe, le quotidien algérien rappelle que « l’Empire ottoman fut le colon (de l’Algérie) avant la France », et que « la colonisation ottomane s’est caractérisée par un pillage en règle du pays ».
La Tribune, un autre journal algérien, ne tombe pas lui non plus dans le panneau, avec néanmoins une nuance. Pour cet autre quotidien, la menace turque représente « la réponse du berger à la bergère » et est « un peu intéressée ». La Tribune évoque bien un « génocide algérien », dont la négation « doit être effectivement pénalisée », mais s’empresse d’ajouter que « ce devrait être d’abord et surtout l’affaire du peuple algérien et de ses élus ».
Mais l’affaire du vote de la proposition de loi française pourrait également avoir des incidences sur la situation en deux points chauds du globe : l’Afghanistan et le Liban. Selon Zaman, suite à l’avertissement adressé par l’armée turque à la France, la coopération militaire franco-turque dans ces deux pays pourrait être compromise. Le quotidien indique que la question se pose de savoir si les troupes turques déployées au Liban passeront sous commandement français, dans le cadre de la force de maintien de la paix. Selon les experts, ajoute le journal, la probable opposition des troupes turques à un commandement français aura un impact négatif sur la présence française au Liban.

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