Islam : guerres d’influence

Publié le par Famagouste

i l’occident refuse de l’admettre, l’Islam lui-même revendique être une religion expansionniste et prosélyte, visant à étendre son influence aux quatre coins de la planète. Les musulmans eux-mêmes relatent avec fierté les périodes coloniales qu’ils souhaitent voir se reproduire et considèrent l’hégémonie islamique comme une nécessité à la réalisation de la prophétie originelle, à savoir la conversion à l’Islam de la moindre parcelle habitée sur Terre.

Il est en revanche rarissime de lire des analyses concernant les tensions intra-islamiques, qui alimentent depuis des décennies de véritables guerres médiatico-politiques entre pays musulmans désirant chacun contrôler le futur Islam d’Occident. Le développement de l’Islam en Occident et en Europe en particulier est principalement lié à l’immigration arabo-musulmane et indo-pakistanaise, ainsi qu’aux conversions massives dans les quartiers sensibles. Le «monde arabo-musulman» voit cette dynamique comme une variable géopolitique de première importance. Les populations adhérant à l’Islam constituent aux yeux des dirigeants de ces pays une force économique et une force de nuisance politique potentielles qu’il est nécessaire de canaliser afin de s’en servir en temps utiles comme leviers d’une stratégie globale.

Or, au sein même des pays arabo-musulmans, des clivages existent, et ont mené parfois à des guerres sanglantes. Aujourd’hui encore, ces mêmes pays tentent sinon, de s’approprier l’Islam d’Occident, du moins de conserver la main mise sur leurs ressortissants respectifs. C’est ainsi qu’au sein de la quatrième génération de français maghrébins par filiation, on trouve des individus se déclarant de la nationalité de leurs ancêtres avant de se dire français. De plus, l’activisme islamique de ces 25 dernières années a pour résultat de hiérarchiser les identités, faisant de l’appartenance à l’Islam une priorité sur l’identité nationale. Cette désintégration contribue à forger une vision communautaire au sein d’une part importante de ces populations, et constitue par conséquent l’un des leviers que les pays arabo-musulmans peuvent actionner pour asseoir leur influence.

Iran, Turquie
Droit de préemption sur l’Islam d’Occident

Traditionnellement, l’Arabie Saoudite et l’Egypte se partageaient le haut commandement de l’Islam et la divergence se manifestait notamment pendant le mois du Ramadan. Chaque musulman pouvait adopter l’un des deux calendriers, dont la seule différence réside dans un décalage systématique du premier jour du mois de jeûne.

En second niveau, et servant de relais très efficace, se situe la majorité des pays musulmans qui, par opportunité ou par dépendance, est obligée de se positionner pour l’un ou l’autre des référents cités plus haut, en relayant auprès de ses populations respectives les clivages qui animent les autorités religieuses de l’Islam. Ainsi les pays du Moyen-Orient se soumettront volontiers à l’Islam wahhabite, alors que ceux du Maghreb et de l’Afrique sub-saharienne obéiront aux directives des frères musulmans égyptiens.

Ces mêmes clivages se retrouvent en Occident en général et en France en particulier, depuis les années 1980. La même question de début et de fin de Ramadan persiste, alors que l’Islam de France s’est doté d’un organe censé l’unifier – Le Conseil Français du Culte Musulman.

Chaque année, la Grande Mosquée de Paris, liée à l’Algérie, et la Fédération Nationale des Musulmans de France, influencée par le Maroc, se positionnent sur le calendrier du Caire, alors que l’Union des Organisations Islamiques de France, prône les vérités de l’Arabie Saoudite, premier pourvoyeur de fonds de l’extrémisme islamique. La haute technologie dont nous disposons et qui permet de déterminer le début et la fin exactes du mois de Ramadan est soit inconnue des dirigeants de l’Islam, soit incompatible avec le Livre.

En réalité, les dysfonctionnements que connaît le CFCM reflètent l’importation des clivages cités plus haut. Chacune des organisations soutenant la pénétration de son Islam, tente de prendre le contrôle des éléments majeurs d’influence. Depuis l’émission de fatwas, à la formation des imams, en passant par le contrôle des sommes colossales générées par le marché des produits halal, une véritable bataille fait rage, les uns tentant d’installer l’influence des Frères Musulmans, les autres le wahhabisme, en d’autres termes, la peste ou le choléra.

Mais depuis 25 ans, de nouveaux prétendants à la direction de l’Islam international sont entrés en scène. La prise de Téhéran par les mollahs en 1979, puis celle d’Ankara par le national-islamiste Tayyp Erdogan en 2003 comme Premier ministre de Turquie modifient la nature des luttes d’influence. Le temps de la lutte arabo-arabe est révolu. Les Perses et les Turcs démontrent chaque jour leur détermination à prendre des parts dans ce marché qui n’a jamais fait l’objet d’autant de convoitises. Il serait même dangereusement naïf de croire que les vecteurs les plus anciens et les plus stables de l’Islam – la Perse et l’Empire Ottoman - resteront en dehors de cette lutte à la fois interne et externe. Ces deux civilisations jouissent d’avantages au moins historiques et géographiques déterminants face au monde arabe.

L’Iran est un pays fier d’être le seul pays musulman à n’avoir jamais été colonisé et se targue par conséquent de produire une civilisation pure, seul modèle possible pour une stratégie musulmane qui se cherche. Sa position géographique et ses ressources énergétiques lui permettent de peser sur les relations internationales en nuisant aux grandes puissances.

La Turquie, qui est tout aussi fière d’avoir une histoire impériale, ajoute à cette fierté celle d’avoir colonisé une large partie du monde arabe, et ne manque pas de faire remarquer que l’islamisation dans ces pays est principalement de son fait.

Par ailleurs, ni l’Iran ni la Turquie ne trouvent aux yeux des meneurs de l’Islam Arabe une légitimité à diriger l’Islam internationalisé. En effet, l’Arabie Saoudite ne dispose que de ses pétrodollars pour imposer sa domination au monde musulman. Il faut certes prendre en considération l’immense influence du royaume saoudien sur le monde arabe et sunnite grâce au contrôle de l’essentiel des organisations gérant la politique commune : l’Organisation de la Conférence Islamique, la Ligue Arabe, l’Isesco, la Ligue Islamique Mondiale, …

Cependant, les décisions de ces organisations ne sont suivies que de peu d’effets, l’essentiel étant d’ordre symbolique, comme le boycott de l’Etat d’Israël reconduit en 2005 par décision de la Ligue Arabe, alors que l’Egypte et Israël disposent de plusieurs accords de collaboration économique, dont un espace de libre-échange contracté sous l’égide des Etats-Unis en 2004. Il est d’ailleurs fort à parier que ces organisations perdront dans les années à venir ce qui leur reste de puissance si l’alliance euro-méditerranéenne se consolide comme prévu en 2010 (1).

Mais l’Egypte, pas plus que l’Arabie Saoudite n’est légitimée. Sa position géostratégique, qui en fait un interlocuteur essentiel dans le conflit israélo-palestinien, conflit concentrant les attentions de la planète entière, est loin de lui servir. Les dirigeants égyptiens sont considérés par les milieux musulmans rigoristes comme versatiles. Alors qu’ils ont activement participé à la tentative d’invasion d’Israël en 1967, ils étaient les premiers dans le monde arabe à signer la paix en 1979. Alors que l’Egypte abrite l’une des branches les plus rétrogrades de l’Islam, fondamentalement antisémite, anti-israélienne, et anti-occidentale, ses dirigeants signent des partenariats avec l’Etat hébreu et avec les occidentaux. Toutes ces ambiguïtés apparentes desservent les tentatives de contrôle de l’Islam par l’Egypte.

Le tremplin à la réalisation de l’œuvre

Le nouveau rapport de force ajoute à la dimension islamique une dimension culturelle, ethnique, et linguistique.

La Perse, représentée par l’Iran, est considérée par les historiens comme étant l’une des civilisations les plus anciennes. Le Président Ahmadinejad, qui n’a cessé de déclamer son droit à produire des armes nucléaires, a fini par s’appuyer sur l’ancienneté de la Perse – plusieurs fois millénaire - pour repousser ce qu’il qualifiait d’agressions de la part du Président américain. En s’appuyant sur l’antériorité historique, l’Iran ajoute à la dimension civilisationnelle une dimension de puissance. Ce message s’adresse d’abord à l’Occident et vise à «rétablir» la vérité : substituer à la vision fantasmatique d’un monde arabe sublime, une vision qui serait juste, celle d’une Perse véhiculant de tout temps l’exceptionnelle civilisation islamique. C’est afin que les contes des Mille et une nuits retrouvent leur place, celle d’une œuvre persane et non arabe.

Alors que l’Islam sunnite détient la puissance par le nombre –90 % de sunnites contre 10 % de chiites-, l’Islam chiite profite de son unité autant religieuse, politique que civilisationnelle. Si, au sein de l’Islam sunnite, il existe encore des guerres de pouvoir, les chiites ont su instaurer une paix durable. Il est possible d’être arabe chiite et de s’entendre avec le régime iranien (2). Il est impossible d’être perse sunnite et de s’entendre avec les régimes saoudien ou égyptien.

La Turquie est une autre candidate à cette prise de pouvoir. Les Arabes l’ont bien compris et ont commencé à réagir, il y’a quelques années notamment en imposant le terme Muhammed ou Mouhammed à la place de Mahomet. Il s’agissait de supprimer les traces de l’empire Ottoman, à l’origine de l’orthographe «Mahomet» dans la majorité des pays arabes. Rapidement adoptée par la quasi-totalité des journalistes occidentaux, cette réforme montre à quel point les médias d’Occident sont acquis aux pays arabes qui participent à cette guerre d’influence, et relaient leur propagande. Sont-ils conscients des enjeux ?

Mais la Turquie, sûre de sa puissance n’a pas daigné réagir, préférant laisser les Arabes prénommer le prophète comme ils le souhaitent, ce qui ne change rien aux faits historiques, et donc à la domination ottomane. Cela ne change rien non plus aux données géopolitiques actuelles. La Turquie est à peu près le seul pays musulman non arabe à collaborer avec les Etats-Unis et Israël. Il est même essentiel et complémentaire à l’Egypte dans le processus de paix israélo-palestinien, mais pas seulement ! La Turquie a été un allié essentiel des Etats-Unis dans la chute du régime de Saddam Hussein, ce qui lui a valu de larges procès d’intention, qui auraient pu conduire ce pays sur le bûcher de la bienpensance s’il n’avait eu l’intelligence de démontrer son «islamité» radicale.

En France notamment, la peine infligée par les médias pour soutien à Ben Laden est négligeable. Tout au plus nous répètera-t-on le classique «Attention, pas d’amalgames !». En revanche, tout soutien aux Américains ou à leurs actions vaut une condamnation ferme à la lapidation médiatique, voire politique, exception faite de certains pays qui jouissent d’une curieuse immunité médiatique, et dont les noms vous sont largement familiers. Une chape de plomb pèse sur les relations du Maroc au Polisario, ce qui a abouti à la construction d’un mur de sécurité qu’aucun média n’ose critiquer, ou aux massacres encore et toujours perpétrés par les islamistes en Algérie.

Mais cela aussi les Turcs l’ont compris ! C’est ainsi que le Premier ministre Erdogan, islamiste, sait qu’il déstabilise le 4ème pouvoir en prenant des positions pro-américaines, ou en collaborant avec Israël au niveau économique. A l’instar de l’Egypte, la Turquie sait que les médias occidentaux dans leur majorité sont paralysés lorsqu’il s’agit de critiquer un pays déclaré comme musulman, fut-il constitutionnellement laïque.

Le désintérêt des médias pour tout ce qui peut être source d’opposition au gouvernement islamiste turc est à son paroxysme lorsqu’ils minimisent le génocide arménien, le traitement raciste des minorités kurdes, la colonisation de Chypre, ou encore les pogroms actuels, organisés par les islamistes turcs contre les franc-maçons, les chrétiens, et bien entendu, les Juifs.

De même, de nombreuses associations à caractère institutionnel, défendant originellement l’humain contre tout racisme, ont été détournées et agissent dans le sens de l’inversion du rapport de force, c'est-à-dire dans le sens de plus de communautarisme. Le MRAP et la LDH en sont de parfaits exemples, se faisant parfois de la concurrence, mais agissant la plupart du temps la main dans la main pour courtiser les islamistes, au mépris de leurs statuts respectifs et surtout de leurs militants qui manifestent leur ras-le-bol et reprochent à leurs directions nationales une gestion autoritaire.

En réalité, ces associations sont l’objet d’un fantastique jeu et enjeu de pouvoir. En effet, rien ne vous empêche, étant à la tête de l’une de ces structures de requalifier le racisme et l’antisémitisme afin de servir une cause politique, par ailleurs non avouée.

Les diverses alliances entre les islamistes et ce faisceau d’associations que l’on peut qualifier de «paternalistes» intéressent désormais ceux-là mêmes que ces structures étaient chargée de combattre.

Là aussi le trio sunnite-turc-chiite est dans une bataille transversale. Tous unis contre l’ennemi, ou l’adversaire (sioniste, impérialiste, colonialiste, hégémoniste, esclavagiste,…), mais au bout du compte le pouvoir doit être ethnicisé, tribalisé, ramené dans la sphère de la famille, d’une famille. C’est le sort réservé à ce pouvoir par tous ses prétendants.

Tariq Ramadan tente cette expérience, en s’alliant à une certaine gauche. Les islamistes en général ne souffrent aucune concurrence dans l’aliénation du peuple qu’ils ont programmée. De plus, étant plutôt d’extrême droite, ils ne peuvent s’approcher de la gauche que de manière circonstancielle, car tout les sépare et surtout le rapport au libéralisme : l’Islam est ultra-libéral et l’islamisme en profite bien.

Conclusion

L’ère pure d’un Islam arabe est bel et bien révolue. L’Iran et la Turquie qui disposent de nombreux atouts géopolitiques et historiques entrent enfin dans l’arène, et de manière fulgurante. En Turquie, le parti de l’islamiste Erdogan gouverne un Etat laïque, pendant qu’en Iran, Ahmadinejad défie les plus grandes puissances.

Or nous savons que ni les uns ni les autres ne disposent de projet de société prônant la paix, l’évolution vers plus d’humanisme et de partage.

Il est donc de notre devoir de stopper toute avancée de ces clans.

1- Il nous paraît opportun d’équilibrer les rapports diplomatiques entre le sunnisme et le chiisme.

2- Il est important de prendre part au positionnement des pays du Maghreb sur la question précédente sans, bien entendu imposer notre vision.

3- Il en est de même pour les pays musulmans avec lesquels nous avons des affinités.

L’Islam arabe est véritablement mort. Un autre Islam est sur le point de naître et c’est à nous de l’accompagner.

(1) Euromed est une zone de libre-échange impliquant l’Union Européenne, l’Egypte, Israël, la Jordanie, le Liban, le Maroc et l’Autorité Palestinienne. La signature de la Syrie est en négociation. Fondées sur une éthique islamique rigoriste, les institutions arabes mentionnées ne pourront pas résister à l’ouverture et la coopération avec l’Occident européen, qui est globalement séculier.

(2) En Irak la majorité des arabes musulmans est chiite.

Kébir JBIL - 1er juin 2006

 

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