Un avocat, islamiste présumé, tue un juge du Conseil d'Etat turc et en blesse quatre autres

Publié le par Famagouste

Aslan Alpaslan, un avocat de 29 ans inscrit au barreau d'Istanbul, a fait irruption, mercredi 17 mai, dans la salle du Conseil d'Etat à Ankara où siégeait la 2e chambre de cette juridiction administrative suprême de la Turquie. "Nous sommes les soldats de Dieu", a-t-il hurlé en ouvrant le feu, selon un témoignage de la vice-présidente du Conseil.

 

Résultat : le juge Mustafa Yücel Özbilgin, atteint à la tête, est mort ensuite à l'hôpital et quatre autres juges, dont deux femmes, ont été blessés - l'un d'eux, le président de la chambre, grièvement.

La police, qui a maîtrisé et identifié l'assaillant, a trouvé dans sa voiture, selon l'agence de presse gouvernementale, un exemplaire du journal islamiste Vakit, qui affichait en "une" les photos de quatre de ces juges. Ils sont "coupables", selon les milieux islamistes, d'avoir interdit - à quatre contre un - la promotion d'une directrice d'école élémentaire qui portait le voile à l'extérieur de son établissement (en Turquie, le port du voile par les femmes est interdit dans les établissements de la fonction publique, les écoles et les universités).

 

EMBARRAS GOUVERNEMENTAL

 

L'affaire avait fait grand bruit en février : le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, dont l'épouse et les deux filles portent le foulard, s'était indigné de cette "intrusion dans la sphère privée" de la vie de la jeune directrice, alors que les milieux kémalistes accusaient le premier ministre de violer l'indépendance de la justice.

Ce clivage entre, d'une part, le gouvernement, contrôlé depuis 2002 par le Parti de la justice et du développement (AKP, issu de la mouvance islamiste), et de l'autre, les élites kémalistes (armée, présidence de la République et institutions judiciaires) s'accentue avec l'approche des échéances électorales de 2007. Les premières réactions à l'attentat n'ont pas manqué de traduire également cette opposition.

Le président Ahmed Necdet Sezer a estimé qu'il "visait la République et en particulier ses principes intangibles de démocratie et de laïcité". Le barreau d'Ankara a sommé le gouvernement de "ne pas encourager les ennemis du régime séculier" et la présidente du Conseil d'Etat, Sumru Cortoglu, a renchéri en disant que l'attaque était "le résultat de remarques encourageantes et étourdies faites par des autorités de l'Etat". Le chef du Parti républicain du peuple (opposition laïque), Deniz Baykal, y a vu un "signal" pour ceux qui "refusent toujours de voir (...) les grands dangers vers lesquels la Turquie est entraînée".

L'embarras est évident du côté du gouvernement. Plusieurs de ses représentants ont parlé de "provocation" visant, selon le président du Parlement, Bulent Arinc (AKP), à "créer des désordres sociaux et de la tension politique". M. Erdogan, qui a promis un châtiment sévère à l'auteur - et ses éventuels complices - de cette "attaque contre la démocratie turque", n'a pas eu l'honneur d'être accueilli sur le perron du Conseil d'Etat par les collègues des juges attaqués, contrairement au traitement réservé au président Sezer, a remarqué la télévision privée CNN-türk.

Le Monde - Sophie Shihab - 19 Mai 2006

Publié dans Dans la presse

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