Réactions de la presse, symposium arménien en Turquie, la Turquie et les réformes politiques, en bref

Publié le par Famagouste

Les réactions de la presse turque aux manifestations de Berlin et de Lyon.
Pas très loquace, la presse turque, sur ces événements : au regard de l’ampleur du “ Grand Projet 2006 ”, que nous évoquions la semaine dernière, on notera que les échos de ces manifestations, dans la presse turque, sont relativement limités.
Le Turkish Daily News a dénombré quelque 5 000 participants à la manifestation de Berlin, venus d’Allemagne, de Turquie et d’autres pays européens. Au-delà de la commémoration de Talaat, le quotidien turc souligne que les manifestants « ont saisi l’occasion de dénoncer les accusations de génocide et ont appelé le Parlement allemand à annuler la résolution adoptée en juin dernier reconnaissant un prétendu génocide ».
Selon le journal Anatolian Times, l’un des principaux organisateurs de la manifestation, le président du Parti des Travailleurs turcs Dogu Perinçek a déclaré que « personne ne peut accuser le peuple turc d’avoir massacré le peuple arménien ». Regrettant l’adoption par le Bundestag d’une résolution « qui va faire des ravages dans les relations entre les deux pays », M. Perinçek a appelé les autorités allemandes à « corriger cette grave erreur ». Evaluant à 5 000 environ le chiffre des manifestants, Anatolian Times souligne que ces derniers « portaient des drapeaux et des photos de diplomates turcs assassinés par des terroristes arméniens ».
De son côté, le Journal of Turkish Weekly rappelle que ce “ Mouvement Talat Pacha ” a été initié par deux hommes – Dogu Perinçek et Rauf Denktash, l’ancien président de Chypre-Nord –, auxquels se sont joints de nombreux représentants de partis politiques turcs et d’organisations non-gouvernementales.
Le journal cite les slogans scandés par la foule : « Nous n’avons pas commis de génocide, nous avons défendu le pays ! », ou bien « Le mensonge du génocide est un jeu des Etats-Unis ». Rauf Denktash a déposé une gerbe à l’endroit où Talaat a été tué, et les manifestants ont alors chanté l’hymne turc.
Le Journal of Turkish Weekly souligne que M. Perinçek a demandé à l’Allemagne de ne pas faire état de la résolution de juin dernier dans ses manuels scolaires, pour « ne pas dresser Turcs et Allemands les uns contre les autres ». Un Dogu Perinçek très virulent, puisqu’il a condamné les tentatives de l’administration Merkel d’interdire la manifestation. Pour Dogu Perinçek, Angela Merkel « devrait parler en allemand, et non en américain » ; car les allégations arméniennes sur le génocide « servent le projet américain de Grand Moyen-Orient », et sont « contraires aux intérêts allemands ».
Un Dogu Perinçek qui s’est de nouveau plaint le lendemain, durant la Convention Talat Pacha 2006, que les officiels allemands aient tenté d’empêcher la tenue du rassemblement. « L’Etat allemand a exercé de fortes pressions pour interdire notre marche. Les Etats-Unis aussi sont derrière tout cela », a déclaré M. Perinçek, dimanche 19 mars, selon l’agence Anatolie.
Par ailleurs, toujours selon l’agence Anatolie, un groupe de militants du parti de M. Perinçek a manifesté lundi 20 mars devant le Consulat d’Allemagne à Istanbul, pour protester contre la décision des autorités allemandes de ne pas délivrer de visa à « 200 intellectuels turcs » qui souhaitaient prendre part à la manifestation du 18 mars à Berlin. Les manifestants ont crié des slogans hostiles au gouvernement allemand et à la Chancelière Angela Merkel.
En Allemagne, un responsable politique conservateur, Jochen Konrad Fromme, a critiqué la manifestation des Turcs à Berlin, soulignant selon l’agence Anatolie que commémorer Talaat était « une insulte à la mémoire du million et demi d’Arméniens massacrés ». « Cette marche nous montre combien il est important pour la Turquie d’affronter son histoire, et également combien il est difficile d’avoir un débat honnête sur cette question », a ajouté le responsable politique allemand, selon le Turkish Daily News.
Après Berlin, Lyon. Dans un article intitulé “ Heurts entre manifestants français et turcs ”, le Turkish Daily News met l’accent sur les affrontements qui ont mis aux prises, à Lyon, les jeunes Français opposés au CPE et quelque 2 500 Turcs venus s’opposer à la construction d’un mémorial du génocide arménien. « La police anti-émeute, écrit le journal, a dû séparer les deux groupes à l’aide de canons à eau. Les Turcs ont réagi aux jeunes qui les traitaient de fascistes et leur criaient de rentrer chez eux. » Le quotidien turc cite Sevda Gog, du Comité des Associations franco-turques, qui s’oppose à l’érection de ce monument, promis en 2003 par le maire de Lyon Gérard Collomb.
Dans la presse turque, les manifestants turcs sont présentés comme les victimes de provocations du camp arménien. Le quotidien Zaman indique que « la police a dû faire usage de gaz lacrymogènes pour faire cesser les provocations des jeunes Arméniens ». « De petits affrontements ont eu lieu, poursuit le journal, lorsque les manifestants turcs ont répondu aux provocations. La police française a réussi à disperser la foule de nouveau à l’aide de gaz lacrymogènes. » Environ 4 000 Turcs ont défilé, selon Zaman, en scandant des slogans tels que « Nous n’avons pas tué, nous avons été tués », ou « Construisez des monuments à la paix, pas à la haine ! », ou encore « Laissez l’histoire aux historiens ! ».
Zaman, qui précisait deux jours avant la manifestation de Lyon, que les organisations turques sont irritées par l’érection à Paris, en 2001, du mémorial du génocide dédié à Komitas, et qu’elles n’ont pas trouvé « un lieu approprié pour ériger une statue d’Atatürk, en dépit des efforts déployés depuis des années par la Turquie ».
Enfin, on notera que Hürriyet, dans son édition du 19 mars, a écrit que les Arméniens « sont venus à la manifestation dans l’intention de perturber le rassemblement des Turcs », ajoutant que les heurts ont fait « trois blessés parmi les assaillants arméniens ».
Une information créée de toutes pièces.

Le symposium arménien d’Istanbul : la réplique d’Ankara à la conférence de septembre dernier.
“ Nouvelles approches des relations turco-arméniennes ” : voilà le thème du symposium qui a été organisé à l’Université d’Etat d’Istanbul, du 15 au 17 mars, soit juste avant les manifestations négationnistes de Berlin et de Lyon. Un symposium qui prend les allures d’une réplique de l’Etat turc à la conférence organisée les 24 et 25 septembre derniers, à l’Université privée de Bilgi.
Six mois après cette conférence qui avait déchaîné les passions et fait tomber, selon ses organisateurs, le tabou arménien en Turquie, l’Etat a repris l’initiative, en mettant sur pied avec la complicité du Recteur de l’Université d’Etat d’Istanbul, un symposium à dominante négationniste. Mesut Parlak, le Recteur de l’Université, avait d’ailleurs annoncé la couleur, avant même le début des travaux. « Cette conférence mettra en lumière de nombreux points restés obscurs », avait-il dit selon le Turkish Daily News, ajoutant qu’« à compter de ce jour, on ne pourra plus dire simplement ce qu’on veut sur la question arménienne ».
Parmi ceux qui ont pris part à cette parade négationniste, citons Yusuf Halaçoglu, qui avait sorti de son chapeau un beau jour de 2005 « les 524 000 Turcs massacrés par les Arméniens entre 1910 et 1922 », Sükrü Elekdag, un député de l’opposition turque dont Jacques Toubon n’est pas près d’oublier la virulence, Gündüz Aktan, l’ancien ambassadeur de Turquie en Grande-Bretagne et ex-membre de la défunte Commission de réconciliation arméno-turque, et enfin l’historien américain Justin McCarthy, l’un des suppôts du négationnisme turc à l’étranger.
Belle brochette de négationnistes, assurément, face à laquelle deux défenseurs de la réalité historique ont tenté de faire entendre leur voix. Ils ont pour nom Ara Sarafian et Yair Auron.
Vivant à Londres, le premier, qui a évoqué le fameux Livre bleu britannique, a déclenché les foudres de Sükrü Elekdag et de Justin McCarthy, qui ont dénoncé selon le Turkish Daily News un « produit de propagande » lancé durant la Première Guerre mondiale, « dans le cadre d’une entreprise de désinformation ». Comme si cela ne suffisait pas, Ara Sarafian sera traité le deuxième jour de la conférence d’« agent de l’étranger » par un universitaire turc répondant au nom d’Ali Emin Özsoy. Motif du litige : Ara Sarafian s’est vu reprocher d’avoir exhibé un ouvrage à la couverture suspecte, avec un drapeau turc ressemblant à un poignard.
Quant à l’historien israélien Yair Auron, il a rappelé que les événements de 1915 étaient un « génocide », soulignant qu’« en dépit des efforts déployés par l’Empire ottoman », ils avaient rencontré « un large écho dans la presse internationale », et notamment « dans les journaux de Palestine ». « J’ai bien étudié les sources, et il est clair que ce que les Arméniens ont subi est un génocide », a déclaré Yair Auron, en invitant les Turcs à se pencher sur leur passé.
Résultat : le bilan est mi-figue mi-raisin pour la Turquie. Et d’abord en termes de fréquentation. Le quotidien Milliyet a fait observer que « la salle de conférence, d’une capacité de 2 000 places, était à moitié vide », soulignant notamment que les étudiants avaient brillé par leur absence. Autre souci pour les organisateurs : la fin de non-recevoir opposée par les cinq historiens de l’Université d’Etat d’Erévan et des Archives d’Etat d’Arménie, à l’invitation du Recteur Mesut Parlak à participer à ce symposium. Un Mesut Parlak qui s’est plaint, selon le quotidien Marmara des Arméniens de Turquie, que sur les cinq chercheurs d’Arménie invités, quatre d’entre eux « non seulement n’ont pas pris la peine de décliner par courrier l’invitation, mais se sont en plus répandus, dans la presse étrangère, en commentaires blessants pour la Turquie ».
Nous vous le disions en début de compte-rendu : ce symposium a tout juste précédé, de quelques jours seulement, les manifestations de Berlin et de Lyon. Cette conférence à dominante négationniste, dont la vocation, selon le Recteur de l’Université d’Etat d’Istanbul, serait d’ouvrir une « nouvelle page » dans l’histoire des relations arméno-turques, a donné l’occasion à Ali Tuygan, le sous-secrétaire d’Etat turc aux Affaires étrangères, de souligner que la proposition faite par Ankara à Erévan de créer une Commission mixte d’historiens demeurait à l’ordre du jour.
La Turquie lance donc une contre-offensive négationniste à l’étranger, maquille à l’intérieur du pays son négationnisme d’Etat en recherche scientifique et feint de promouvoir le dialogue avec l’Arménie sur « les épisodes controversés des relations arméno-turques », tout en subordonnant l’ouverture de la frontière avec l’Arménie à l’abandon par Erévan de sa politique de reconnaissance du génocide et à l’accomplissement de progrès sur le Karabagh. Dans le même temps, Ankara cautionne ouvertement la politique anti-arménienne de l’Azerbaïdjan, en inaugurant en grande pompe, au Nakhitchevan, juste après la destruction du cimetière de Djougha, un mémorial dédié aux soldats turcs tombés « pour avoir empêché l’occupation du Nakhitchevan par les forces arméniennes durant la Première Guerre mondiale ».
Sans oublier que la Turquie s’est lancée dans une entreprise de médiation tous azimuts en direction de l’Occident et du monde islamique (Hamas, Alliance des Civilisations, crise des caricatures, Irak, nucléaire iranien, etc.), dont elle espère un jour recueillir les dividendes politiques.
Une stratégie à plusieurs tiroirs, qu’il n’est pas inutile de décoder, à l’intention de ceux qu’Ankara cherche à abuser en envoyant ces signaux plus ou moins contradictoires.

La Turquie et les réformes politiques, à un an des élections présidentielles et législatives.
Hans-Jörg Kretschmer, le chef de la Délégation européenne à Ankara, fait le point sur les réformes en Turquie. Dans un entretien exclusif accordé au Turkish Daily News, M. Kretschmer estime que la Turquie « n’est pas gagnée par la lassitude » dans ce domaine. Il précise simplement que le pays se trouve dans une situation préélectorale, puisque les élections présidentielles et législatives sont prévues en 2007. « Mais le projet d’intégration européenne, fortement soutenu par l’opinion publique turque et placé au premier rang des priorités par le gouvernement, demeure une priorité de premier plan et constitue l’une des questions sur lesquelles ce gouvernement s’appuie pour bâtir son succès », a souligné M. Kretschmer.
Au moment où une résolution du Parlement européen rappelle à la Turquie qu’elle a moins de deux ans pour respecter les critères politiques d’adhésion, le chef de la Délégation européenne en Turquie a estimé qu’il ne fallait peut-être pas s’attendre à de gros progrès, dans ce contexte préélectoral, sur le terrain des réformes politiques. « Après tout, ces hésitations à prendre des mesures décisives en période préélectorale sont un phénomène plutôt normal, qu’on constate dans tous les pays démocratiques », a affirmé Hans-Jörg Kretschmer.
Néanmoins, le chef de la Délégation européenne en Turquie a reconnu que l’enlisement persistant sur le problème de Chypre – notamment à propos de l’ouverture des ports et aéroports turcs aux bateaux et avions chypriotes grecs – risquait de devenir un « problème majeur » dans le processus d’adhésion. La Commission européenne va préparer pour l’automne prochain un rapport d’évaluation sur le respect par la Turquie des critères requis par l’accord d’Union douanière, et déjà, rappelle le Turkish Daily News, certains officiels de l’Union européenne ont averti Ankara que les négociations d’adhésion pouvaient être suspendues, en cas de non-respect des critères requis.
De son côté, M. Kretschmer s’est refusé à commenter les conséquences que pourrait entraîner le refus de la Turquie d’ouvrir ses ports et aéroports aux Chypriotes grecs. « En parler serait prématuré, a-t-il dit, car ce problème est entre les mains des Etats membres qui négocient avec la Turquie. »
La question du commerce direct avec Chypre-Nord, que soulève Ankara, est toujours sur la table des négociations, mais il n’y a pas de calendrier pour en débattre, a admis M. Kretschmer. Très prudent, il n’a pas exclu la possibilité de progrès sur cette question, dans le cadre d’une avancée globale sur le problème de Chypre.
Rappelons que le 24 février dernier, l’Union européenne acceptait de débloquer une enveloppe de 139 millions d’euros aux Chypriotes turcs, sans compléter cette aide par un accord sur l’établissement d’un commerce direct avec Chypre-Nord, réclamé avec insistance par Ankara et certains pays membres de l’Union.
En attendant les prochains rebondissements de la crise chypriote, on apprenait que les négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne devraient réellement commencer en mai prochain, selon Namik Tan, le porte-parole du ministère turc des Affaires étrangères. Ce dernier a indiqué, selon le Turkish Daily News, qu’une conférence intergouvernementale réunissant les adjoints des chefs-négociateurs devait se dérouler en mai, pour lancer les négociations sur le chapitre “ Science et Recherche ”. Il a ajouté qu’une autre conférence intergouvernementale prévue au niveau ministériel les 12 et 13 juin, en marge du Conseil des Affaires générales et des Relations extérieures de l’Union européenne, devait clore les négociations sur ce chapitre.
Un examen préliminaire dans le domaine de la science et de la recherche avait été mené le 20 octobre 2005, soit deux semaines et demie après le sommet de Luxembourg, suivi d’une séance approfondie le 14 novembre dernier. Un peu plus tard, la Commission européenne allait préparer un rapport en forme de bilan, sur la situation en Turquie dans le domaine susmentionné. Un rapport qui allait être approuvé le 23 février dernier par le Conseil européen.

EN BREF…
- Un mémorial de guerre dédié aux soldats turcs « morts pour avoir empêché l’occupation du Nakhitchevan par les forces arméniennes durant la Première Guerre mondiale », a été inauguré il y a quelques jours à Ordoubad, au Nakhitchevan, selon le quotidien turc Zaman. « Les forces armées turques resteront toujours aux côtés de leurs frères azéris, comme par le passé », a déclaré l’officier Celalettin Bacanli, qui a rappelé les mots d’Atatürk : « Le problème de l’Azerbaïdjan est notre problème, et son bonheur aussi est le nôtre. » Selon Zaman, l’emplacement du mémorial de guerre turc a été décidé « à l’issue de consultations avec des témoins de la guerre et des historiens ». Le président de l’Assemblée du Nakhitchevan, Vasif Talibov, a également apporté sa contribution à la construction de ce mémorial.
- L’Iran a rejeté la possibilité de créer une entreprise conjointe avec la Turquie, sur le territoire turc, pour l’enrichissement de l’uranium, en vue de trouver une solution à la crise du nucléaire iranien. Hamid Resa Asefi, porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, a clairement indiqué, selon le Turkish Daily News, qu’il n’était « pas question pour l’Iran de s’engager dans la création d’une entreprise conjointe avec un autre pays que la Russie ». L’idée d’une entreprise conjointe turco-iranienne a également été rejetée par la partie russe. Konstantin Kosatchev, le président de la Commission des Relations internationales à la Douma, a souligné à ce propos que « les experts impliqués dans ce dossier considèrent cette idée absurde ». Rappelons que selon certaines sources diplomatiques, Mohamed El-Baradeï, le président de l’Agence internationale pour l’énergie atomique, aurait proposé à la Turquie de jouer un rôle de médiateur dans la crise qui oppose Téhéran à la communauté internationale sur le dossier du nucléaire.

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