Caricatures, génocide, football turc

Publié le par Famagouste

L’affaire des caricatures : la Turquie joue les médiateurs.
Recep Tayyip Erdogan lance un appel au calme : dans des courriers adressés aux Nations unies, à l’OTAN, à l’Organisation de la Conférence Islamique et aux pays où la Turquie est représentée, le Premier ministre turc demande aux dirigeants du monde entier de désamorcer les tensions actuelles autour des caricatures du prophète Mahomet. « Je pense qu’il est d’une importance vitale pour la défense de la paix mondiale et de nos valeurs communes que les hommes d’Etat et les dirigeants politiques fassent preuve de sagesse et de bon sens, et adoptent la position commune que l’on attend d’eux », a écrit M. Erdogan, selon le Turkish Daily News.
Le chef du gouvernement turc a appelé les dirigeants de la planète à éviter de mettre en œuvre toute politique qui déclencherait « une poussée d’islamophobie dans les sociétés occidentales ». Pour M. Erdogan, on ne peut demander aux Musulmans de tolérer une insulte au prophète qui va bien au-delà des limites de la critique. « Aucune culture n’a le droit de heurter la sensibilité d’une autre culture. Faire ces dessins et les justifier par le droit à la liberté d’expression relève de l’arrogance culturelle », a-t-il ajouté.
On notera que la Turquie mène actuellement, en coordination avec l’Espagne, une initiative baptisée “ Alliance des civilisations ”, soutenue par les Nations unies. Recep Tayyip Erdogan et son homologue espagnol José-Luis Rodriguez Zapatero ont d’ailleurs cosigné un article la semaine dernière dans l’International Herald Tribune, appelant au calme et à la retenue dans cette affaire.
Le Premier ministre turc a été relayé par son ministre des Affaires étrangères, Abdullah Gül, qui a déclaré dimanche 12 février au Forum Economique de Djeddah, en Arabie Saoudite, qu’il n’existait « aucune liberté sans limites dans ce monde ». Les identités et les valeurs religieuses ne peuvent faire l’objet d’attaques ou d’humiliations, conformément à l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, a précisé M. Gül selon le Turkish Daily News. Déplorant le manque de compréhension mutuelle entre les différentes cultures et civilisations, le chef de la diplomatie turque a souligné que son pays avait vocation à rapprocher l’Est et l’Ouest. Affirmant que la Turquie avait des racines en Europe, M. Gül a ajouté : « Cependant, la Turquie est davantage qu’un pays simplement européen. Nous sommes, en même temps, une partie du monde islamique et nous restons fidèles aux valeurs de l’Orient. Cette position unique est notre trésor le plus précieux, celui qui nous offre la possibilité d’aider les deux mondes. Ne doutez jamais que nous assumerons cette tâche historique ! ».
En Turquie, l’affaire a drainé des dizaines de milliers de personnes dans les rues. La palme du mouvement de protestation le plus imposant revient sans conteste à Diyarbekir, où 50 000 personnes se sont rassemblées dans le square principal de la ville, pour entonner des slogans anti-danois. Avant de se disperser, les manifestants ont appelé à un boycott des produits danois.
Un peu partout dans le pays, des drapeaux danois et des effigies du Premier ministre danois Anders Fogh Rasmussen ont été brûlés par des manifestants en colère. A Istanbul, 2 500 personnes, encadrées par une forte présence policière, se sont massées devant la Mosquée Beyazit, pour brûler un drapeau danois et crier des slogans hostiles au Danemark, à Israël et aux Etats-Unis. La dispersion des manifestants s’est opérée dans le calme, hormis pour neuf d’entre eux, qui ont été interpellés, selon l’agence Anatolie, pour avoir voulu organiser une marche de protestation. Toujours à Istanbul, selon le Turkish Daily News, environ 150 ultranationalistes criant « Vengeance ! » ont jeté des œufs sur le bâtiment du Consulat de France. La police a dû s’interposer, pour empêcher certains manifestants de prendre d’assaut l’immeuble du consulat.
A Van, dix personnes ont été arrêtées parce qu’elles ont bloqué la circulation dans une rue, en dépit des injonctions de la police. A Ankara, enfin, des membres d’un syndicat du secteur public ont déposé une gerbe noire devant le bâtiment de l’ambassade du Danemark, jugeant les caricatures inacceptables. Les manifestants ont jeté ensuite des photos du Premier ministre danois, avant de les bombarder d’œufs et de se disperser sans incident.
Au Parlement turc, la Commission des Droits de l’Homme a qualifié de « provocation » la publication de ces caricatures dans les journaux du Danemark et d’autres pays d’Europe, et elle a exigé des excuses pour les Musulmans. La Commission a également condamné les violences survenues lors des manifestations de rues organisées un peu partout dans le pays.
Dans la classe politique turque, certains ne se sont pas contentés d’exprimer leur indignation et ont pris des initiatives radicales. Vahit Kiler, un député de l’AKP au pouvoir, a décidé de retirer les produits danois et norvégiens des rayons des 110 magasins de la chaîne du même nom qu’il possède. Selon le Turkish Daily News, il a envoyé par la poste une copie du Coran au Premier ministre danois Anders Fogh Rasmussen. Un autre député de l’AKP, Turhan Çömez, a quant à lui pressé le ministère de la Santé de revoir les contrats conclus avec une compagnie pharmaceutique danoise, NOVA Nordisk, pour l’achat d’insuline, en condamnant ces caricatures comme le produit de la « mentalité raciste sévissant au Danemark ». Médecin de son état, M. Çömez a indiqué au Parlement que la compagnie danoise en question contrôlait actuellement les 60% du marché de l’insuline en Turquie, lequel s’élève à environ 50 millions d’euros.
La presse turque fait ses choux gras de cette crise. Dans une chronique intitulée “ Les Rasmussens ” (du nom du Premier ministre danois), Hikmet Bila, de Cumhuriyet, met dans le même sac les auteurs des caricatures, les directeurs des journaux qui les ont publiées et les hommes politiques qui les soutiennent, tous qualifiés d’« imbéciles », au nom – comme l’écrit le chroniqueur – de son droit à la liberté d’expression. Hikmet Bila dénonce ces « bêtises », commises « sous le parapluie fallacieux de la liberté de pensée et d’expression ».
Ceux qui ont fait ces dessins ou donné le feu vert à ces publications, souligne le journaliste, savaient que des centaines de milliers de personnes allaient descendre dans les rues et que leurs actions allaient attiser l’inimitié entre les Musulmans et les Chrétiens. « Quel but poursuivaient-ils ?, s’interroge Hikmet Bila. Prouver que ces Musulmans sont des terroristes ? Ou s’imaginaient-ils que les pays musulmans allaient se remettre en question ? ». Et le chroniqueur de conclure, en partant d’une déclaration du chef de l’opposition turque, Deniz Baykal : « Essayez juste d’écrire un article ou de dire un mot, n’importe où en Europe, qui fasse les louanges d’Hitler, et vous verrez comment la liberté vous frappera derrière la tête ! ».
Autre argument, autre tonalité, avec Hassan Pulur, dans Milliyet. Soulignant dans un article titré “ L’affaire des caricatures ”, que dans un souci de lever des tabous sur les Musulmans, le directeur d’un journal danois a demandé à un dessinateur de faire des caricatures impliquant un lien entre le prophète Mahomet et le terrorisme, Hassan Pulur renvoie l’argument à l’opinion publique chrétienne. Il se demande si des caricatures de Jésus-Christ pourraient être publiées dans un pays majoritairement musulman, et surtout si un européen de religion chrétienne les supporterait. Réponse : non.
Hassan Pulur poursuit sa critique à l’endroit de « ceux qui s’accrochent à la liberté d’expression pour deux caricatures ridicules ». Dans une comparaison pour le moins osée, il fait valoir « qu’en Suisse, dire que le génocide arménien n’a jamais existé est un délit ; que l’historien américain Bernard Lewis a été condamné pour avoir rejeté la thèse du génocide arménien dans le journal Le Monde ; et enfin que David Irving a été arrêté pour avoir écrit que les Juifs n’avaient pas été victimes d’un génocide ».
Hürriyet, pour sa part, place le débat sur un autre plan. Ferai Tinc met en rapport l’initiative conjointe de MM. Erdogan et Zapatero, que nous citions tout à l’heure, avec une décision du Conseil d’Etat de Turquie interdisant aux enseignants de porter le voile sur le chemin de l’école ou du retour au domicile. Elle critique le chef de la diplomatie Abdullah Gül, « d’habitude très mesuré et prudent dans ses déclarations », auquel elle reproche d’avoir qualifié cette décision de « dangereuse ». « Il pouvait très bien être contre la décision du Conseil d’Etat, écrit Ferai Tinc, mais n’aurait-il pas dû se montrer plus prudent dans ses propos ? Comment la Turquie peut-elle faire entendre une certaine voix à l’extérieur et une autre à l’intérieur, et être crédible durant la période critique que nous vivons ? ».
Si personne n’ignore que l’affaire prend désormais une dimension internationale, ils sont en revanche moins nombreux à savoir que la Turquie tente d’exploiter cette crise pour marquer des points en Europe. Selon le Turkish Daily News, au terme d’une discussion avec son homologue turc Abdullah Gül, la ministre autrichienne des Affaires étrangères Ursula Plassnik (dont le pays assume la présidence tournante de l’Union européenne) a loué le rôle actif joué par la Turquie en vue de promouvoir le dialogue entre l’Europe et le monde musulman, en particulier dans le cadre de l’Alliance des Civilisations, autrement dit l’initiative Erdogan-Zapatero. Mme Plassnik a souligné la volonté de son pays d’accueillir l’une des prochaines réunions de responsables de haut niveau de l’Alliance, une proposition saluée par Abdullah Gül.
La chef de la diplomatie autrichienne s’est également déclarée intéressée par la tenue de pourparlers sur cette question, lors de la prochaine réunion de la troïka de l’Union européenne : celle-ci rassemblera en effet, le 8 mars prochain, les ministres des Affaires étrangères des pays qui assumeront cette année la présidence tournante de l’UE, ainsi que le Haut Commissaire chargé de la Politique extérieure et de Sécurité commune, Javier Solana. Mme Plassnik a également invité Abdullah Gül à présenter cette “ Alliance des civilisations ” parrainée par l’ONU, lors du dîner de travail qui réunira le 11 mars prochain, à Salzbourg, les ministres des Affaires étrangères de l’UE, la Turquie et les pays des Balkans de l’Ouest.
En attendant cette échéance, les deux journaux allemand et turc à grand tirage, Bild et Hürriyet, ont publié un éditorial commun, intitulé “ Nous sommes amis ! ”, dans lequel les directeurs des deux journaux, Kai Diekmann et Ertughrul Özkök appellent chacun « à respecter les sentiments de l’Autre, à éviter les offenses, humiliations ou actes de malveillance et à construire une véritable alliance des cultures ».
Pendant ce temps-là, selon le Turkish Daily News, Hüseyin Araç, un député du Parlement danois d’origine turque, a suggéré de confier à la Turquie une mission de médiation entre le Danemark et les pays musulmans, dans l’affaire des caricatures.
Cette « crise des caricatures », comme on la désigne désormais dans la presse turque, constitue « un vrai test pour les relations euro-turques », pour le journaliste Mehmet Ali Birand. Dans la rubrique “ Opinions ” du Turkish Daily News, le célèbre chroniqueur adresse un satisfecit appuyé aux dirigeants turcs, grâce auxquels la réaction de la société civile turque « est restée dans les limites d’une attitude civilisée ». Car si l’AKP au pouvoir est « plus sensible que les autres partis au thème de la religion », il n’en demeure pas moins que « toute l’administration s’est comportée de façon incroyablement prudente dès le début de la crise ».
Et Birand se demande si l’Union européenne va « voir la différence » en Turquie, va saisir « cette contribution qu’une Turquie européenne pourrait apporter à l’Europe », ou va « mettre tous les Musulmans dans le même sac et se dire : “ Nos vies vont être détruites si nous laissons des Musulmans entrer dans l’UE ” ». « Si tel était le cas, conclut-il, ce serait une honte. »

De la responsabilité intellectuelle.
On le sait depuis le 7 février : sitôt ouvert, le procès des quatre journalistes de Radikal et de leur confrère de Milliyet, accusés d’avoir critiqué la décision de la justice turque de bloquer la conférence sur les Arméniens, a été reporté dans un climat particulièrement houleux au 11 avril prochain. Cinq jours seulement après cette première audience, le quotidien Radikal, justement, a débuté dimanche 12 février la publication d’une série d’articles intitulée « Un nœud de 91 ans : le problème arménien ».
Le premier de ces papiers propose une interview de deux personnalités aux points de vue différents : d’un côté, Yusuf Halaçoglu, le président de la Société turque d’Histoire, qui a eu maille à partir avec la justice suisse pour propos négationnistes sur le génocide arménien, de l’autre le Professeur Halil Berktay, qui était membre du Comité d’Organisation de la Conférence sur les Arméniens en septembre dernier.
Sans surprise, Yusuf Halaçoglu a présenté la version officielle de la Turquie ; quant à Halil Berktay, il a exprimé une opinion nettement différente, soulignant que les déportations forcées et les tueries de masse étaient le résultat des instructions secrètes ordonnées par le gouvernement ottoman de l’époque. Mais Berktay rappelle que la Convention des Nations unies sur le génocide date de 1948, et considère par-là même que le terme de génocide ne peut s’appliquer aux tueries massives des Arméniens, quand bien même celles-ci correspondent bien à la définition du crime de génocide.
Dans son éditorial du Turkish Daily News du 13 février, intitulé “ De la responsabilité intellectuelle ”, Yusuf Kanli confie qu’il suit avec une extrême attention cette série d’articles préparés par Ertughrul Mavioglu dans Radikal. « Cela demande du courage pour le journaliste d’écrire une telle interview et pour le directeur de la publier, écrit l’éditorialiste, mais il faut également une intégrité intellectuelle et un respect de soi pour oser s’attaquer à un tabou si hautement sensible, à un moment où les tenants du radicalisme ont trouvé de toutes nouvelles munitions : la polémique sur les caricatures publiées au Danemark. » Yusuf Kanli prédit des discussions intenses sur cette question dans la période à venir, avec de nombreuses condamnations du Pr Berktay, pour « ses remarques discutables », ainsi que du journaliste Mavioglu et de Radikal, pour avoir ouvert leurs colonnes à « de telles idées dangereuses ».
« Mais c’est comme cela qu’un changement peut apparaître dans une société, souligne Yusuf Kanli. Je crois qu’ils ont rendu un grand service à ce pays, et en offrant une exposition équivalente au tenant de la version officielle et à son contradicteur, ils ont respecté les exigences fondamentales de notre profession. » Rappelant qu’une conférence sur le problème arménien a pu se tenir en septembre dernier, à Istanbul, malgré les « grandes difficultés » qu’ont connu ses organisateurs, l’éditorialiste note qu’à cette occasion, « la version officielle des événements de 1915 a été contestée par des intellectuels turcs, pour la première fois en 80 ans ». Yusuf Kanli en profite pour appeler les intellectuels arméniens à organiser eux aussi ce type de conférence, « même si au préalable, Erévan devra abroger sa législation qui criminalise toute contestation de sa position officielle ».
Pour l’éditorialiste, « quelle que soit la terminologie qu’on appliquera pour décrire les incidents de 1915 (…), la lumière devra être faite sur ce qui s’est réellement passé durant ces années-là, de sorte que nous pourrons laisser cette période derrière nous et nous concentrer sur la construction d’un avenir commun plus brillant ».
Yusuf Kanli conclut en confiant à ses lecteurs qu’il a téléphoné au journaliste Mavioglu – celui qui a préparé la série d’articles sur le sujet –, pour lui demander pourquoi il a écrit ces papiers et pourquoi maintenant. « Pour pouvoir discuter de cette question, lui a répondu Mavioglu, car je crois que si nous commençons à en parler, si les idées commencent à sortir sur le sujet, si celui-ci cesse d’être un tabou, alors nous serons en mesure de résoudre cette question. »

Football : la Turquie sous le choc des sanctions infligées par la FIFA.
Six matches sur terrain neutre et à huis clos, et 130 000 euros d’amende pour la Fédération turque de Football : tel est le verdict rendu par la Commission de Discipline de la FIFA, sur les graves incidents qui avaient émaillé la rencontre de barrage Turquie-Suisse du 16 novembre dernier, comptant pour les qualifications à la phase finale de la Coupe du Monde de Football.
Les joueurs turcs Alpay Ozalan et Emre Belozoglu, ainsi que leur homologue suisse Benjamin Hüggel, ont été condamnés en outre à purger six matches de suspension, une peine assortie d’une amende de 9 600 euros pour chacun d’eux. Le joueur turc Serkan Balci sera quant à lui privé de deux matches officiels, et devra payer 3 200 euros d’amende. Côté encadrement, le sélectionneur adjoint du onze national turc, Mehmet Ozdilek, s’est vu interdire toute activité liée au football pendant un an, une suspension elle aussi assortie d’une amende de 9 600 euros ; dans les rangs suisses, c’est le kinésithérapeute Stephan Meyer qui a été condamné à deux matches de suspension et 4 200 euros d’amende.
En clair, la Turquie devra jouer hors de ses bases ses six matches qualificatifs prévus à domicile pour la qualification à la phase finale de l’Euro 2008. Une sanction qui hypothèque assez gravement a priori ses chances de qualification pour une compétition qui se déroulera en Autriche et… en Suisse.
La Turquie a mal réagi à l’annonce du verdict de la FIFA. Le ministre turc des Sports, Mehmet Ali Sahin, l’a jugé « inacceptable ». « C’est une décision motivée par des considérations plus politiques que sportives », a-t-il déclaré. Cette sanction a été décidée, selon lui, « dès l’instant où le président de la FIFA, Sepp Blatter, avait fait sa déclaration condamnant la Turquie ».
La Fédération turque de Football, quant à elle, a indiqué qu’elle ferait appel de cette décision auprès du Tribunal Arbitral du Sport, dont le siège est à Lausanne, en Suisse. Haluk Ulusoy, le président de la fédération turque, s’est dit « sous le choc » de la nouvelle. « C’est une sanction incroyable, a-t-il déclaré. C’est effrayant. Si nous ne nous étions pas autant battus pendant ces quinze derniers jours, nous aurions été purement et simplement disqualifiés du tournoi. »
De son côté, Senes Erzik, un haut dirigeant turc de l’UEFA (l’Union européenne de Football), n’a « jamais vu une sanction aussi dure, depuis la suspension de cinq ans infligée aux Anglais de Liverpool », après le drame du Heysel, à Bruxelles, en mai 1985. Il pense que la FIFA s’est appuyée sur les articles 50 et 70 du règlement de sa Commission de Discipline, lesquels font référence aux responsabilités en cas de blessure d’un joueur et à l’insuffisance de la protection fournie en des endroits du stade situés hors du champ visuel du public, mais aussi, en l’occurrence, aux incidents survenus à l’aéroport.
Quant à la presse turque, les journaux se disputent la palme du plus indigné. Comme s’il ne s’était rien passé ou presque, un certain 16 novembre 2005, à Istanbul. « Pourquoi ne nous ont-ils pas carrément pendu ? », se demande Hürriyet, décrivant la sanction comme « la plus lourde » dans l’histoire de la FIFA, la fédération internationale de football. « Ce n’est pas une sanction, c’est une exécution, s’est exclamé Aksam. La FIFA a crucifié la Turquie. » « Cela s’appelle une exclusion », estime Sabah, pour qui la FIFA va priver sans raison les supporters turcs des prochaines rencontres internationales. Quant à Cumhuriyet, il accuse le président suisse de la FIFA, Sepp Blatter, d’avoir influencé le jugement en ayant publiquement jeté le blâme sur la Turquie juste après la rencontre du 16 novembre dernier.
Seule note discordante dans ce concert de protestations : Vatan, qui estime que la Turquie s’en tire à peu de frais. « Nous l’avons échappé belle », a affirmé le quotidien. Le chef de la rubrique “ Sports ” de Vatan a même écrit que ces sanctions offraient une belle occasion de dresser l’état des lieux du football turc, qui serait infiltré par la mafia. « Nous n’apprécions pas l’autocritique, nous les Turcs, mais nous ne pouvons plus y échapper », a-t-il indiqué.
Cela dit, le quotidien Vatan ne sera certainement pas tout seul à penser que les sanctions auraient pu être bien plus lourdes. Outre le fait qu’était évoquée l’éventualité d’une exclusion pure et simple des éliminatoires de l’Euro 2008 ou de la Coupe du Monde 2010, on notera qu’un acteur essentiel de l’affaire est passé à travers les mailles du filet de la FIFA : le sélectionneur turc Fatih Terim. Au moment des faits, il était quasiment la cible de tous les tirs, la plupart des médias l’accusant d’avoir incité ses joueurs à « casser du Suisse ». Mais Fatih Terim sera donc épargné par le verdict de la FIFA, laquelle souligne qu’« aucune preuve de son implication justifiant des sanctions disciplinaires à son encontre n’a été fournie par les personnes impliquées dans les incidents ».
Verdict trop clément ou pas assez : au-delà du débat sur la justesse des sanctions sportives, la question essentielle sur l’origine des incidents se pose toujours. Or, tout le monde s’accorde à dire, dans cette affaire, que ces incidents étaient le résultat d’une manœuvre préméditée. Dans cette perspective, on ne peut s’empêcher de rappeler que la justice suisse a entendu ces derniers mois deux personnalités turques pour propos négationnistes sur le génocide arménien. Le premier est Yusuf Halaçoglu, le président de la Société turque d’Histoire, et le second est Dogu Perinçek, le président du Parti des Travailleurs turcs.
Un rappel qui se justifie d’autant plus qu’une banderole portant la phrase « Le génocide arménien est un mensonge international » en deux langues (anglais et turc) avait été brandie dans le stade d’Istanbul, durant le match, par des supporters probablement issus des rangs du Parti des Travailleurs turcs de M. Perinçek. Pourquoi ? Tout simplement parce que la phrase en question, prononcée par M. Perinçek lors des célébrations du Traité de Lausanne, est précisément celle qui lui a valu des poursuites par la justice suisse.
Une coïncidence – avouons-le – plus que troublante, qui nous emmène sur le terrain politique, pour une controverse au cœur de laquelle se trouve le génocide arménien. Un élément qu’il serait difficile de passer sous silence, dans le contexte que nous venons de rappeler, mais dont personne ne parle. Pourquoi ?

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